Plan du Site
Vos Salles de Garde
histoire de l'Internat
Les photos de l'Internat
Le Bal de l'Internat
Quoi de neuf sur le site
Les Liens du Plaisir des Dieux
retour
AAIPH
L'INTERNAT DE PARIS

Trimestriel d'information
de l'Association Amicale des Anciens Internes
des Hopitaux et Hospices Civils de Paris.

N°21 - juillet 1999

 HISTOIRE


La relève des
médecins en captivité

Fernand Flabeau promotion 1939

1943: des médecins français partent relever leurs collègues prisonniers.

1945: les camps sont évacués, la longue marche de libération de ces « prisonniers sans capture » peut commencer.

À partir de son expérience personnelle, avec pudeur et modestie, notre collègue Fernand FLABEAU retrace deux épisodes peu connus de la Deuxième Guerre mondiale.

... La possibilité de relever les médecins en captivité depuis 1940, fut accordé le 5 février 1943 et, peu après, partirent les premiers releveurs qui étaient, en priorité, des médecins d'active.

...En ce qui concerne la chirurgie, les chirurgiens d'active étant en nombre insuffisant, la relève fut assurée par des internes de 3° et 4° année.

... C'est ainsi que, pendant ma quatrième année d'Internat, en août 1943, je fus convoqué au Val de Grâce où l'on me signifiait mon départ pour le stalag IA en Prusse orientale.

... Mes différents patrons, que j'avais avisés, m'avaient écrit des lettres chaleureuses me disant que c'était mon devoir d'aller donner mes soins à nos compatriotes prisonniers. Deux autres internes de Paris furent également requis : Denis CIAUDO (promotion 1939) le 1° mars 1944 pour le stalag IIA et Gilles EDELMANN (promotion 1939) pour le stalag IIIA.

... C'est cette relève que je vais essayer de résumer. Il s'agit bien entendu d'une expérience strictement personnelle : les nombreux autres releveurs français ont connu des situations très différentes, qui sont détaillées, région par région, stalag par stalag, dans deux ouvrages très documentés : le livre de Georges PESSERAU « Prisonniers sans capture » éditions HERVAS et la thèse d'Annick VILLERMAUX soutenue le 5 décembre 1994, UFR Alexis CARREL, intitulée « La relève des chirurgiens prisonniers de guerre en Allemagne par des internes en chirurgie de 3e et 4e années, au cours de la deuxième guerre mondiale ».

... Après avoir subi, au Val de Grace, les vaccinations courantes et contre le tyhus, après avoir touché un uniforme portant les galons de sous-lieutenant et muni d'un ordre de mission précisant mon affectation, je partis le 26 août 1943, de la gare de l'Est pour un voyage de quatre étapes :

1) Paris-Berlin, où je dû me présenter à la « Mission Scapini », ce qui m'amena à une randonnée pédestre dans la capitale allemande, en uniforme français, ce qui sembla n'étonner personne.

2) Berlin-Koenigsberg (l'actuelle Kaliningrad)

3) Koenigsberg-Eylau

4) Eylau-Stablack où se trouvaient le stalag IA et le lazarett de ce stalag.

... À mon arrivée, après avoir franchi le poste de garde et pénétré dans l'enceinte de barbelés entourant les baraques en bois de l'hôpital, je fus photographié avec, au cou, une plaque métallique portant mon numéro de matricule, 32431 Fz, libérant ainsi le chirurgien français prisonnier depuis 1940, le docteur BONNEFOUS de Rodez, qui fut rapatrié quelques jours plus tard.

... Le lazaret était indépendant du camp. Début 1944, nous changeâmes de locaux pour occuper un autre ensemble de baraques plus confortables, mais toujours entourées de barbelés et de miradors. Ce nouvel hôpital jouxtait celui des prisonniers russes, complètement isolé du nôtre par une double rangée de barbelés. C'était en fait « un mouroir » où la nourriture était pratiquement inexistante et où les occupants camouflaient leurs morts pour continuer à toucher leurs rations. Un chirurgien russe y était enfermé. Il manquait totalement de moyens et ne pratiquait que des interventions sommaires, dont beaucoup d'amputations, sans aucune anesthésie.

... Le lazaret du matricule 32431 Fz

... Notre hôpital était, heureusement, considérablement mieux équipé. Il se composait de plusieurs baraques abritant les différents « services » dirigés par des médecins français : médecine, chirurgie (dont j'étais responsable), petite chirurgie, ORL, radiologie, cabinet dentaire et local de kinésithérapie. Un chirurgien et deux médecins polonais s'occupaient de leurs compatriotes.

... Les médecins français étaient logés dans une baraque. Une autre abritait la pharmacie dirigée par un allemand. Une autre encore était divisée en deux parties, l'une aménagée en petit théâtre, l'autre en chapelle où officiait un aumônier militaire français.

... Dans les baraques d'hospitalisation, les infirmiers étaient compétents et dévoués bien que formés « sur le tas » par mon prédécesseur. Ils étaient coiffés par un chef de baraque, généralement un aspirant.

... Les malades étaient couchés sur des lits de bois à deux étages avec un sommier en planches et une paillasse. Je disposais, en outre, d'une autre baraque où se trouvaient la consultation, le bloc opératoire assez rudimentaire, et quelques lits de « post-opératoires » du même type que ceux d'hospitalisation, mais non superposés.

... Un séminariste (Francis) à la fois anesthésiste et panseur, et un infirmier, formés par mon prédécesseur, étaient dévoués et compétents. Mon aide (PERRIN) était boucher dans le civil et se tirait fort bien de sa nouvelle activité.

... La stérilisation se faisait à l'autoclave, les instruments étant le plus souvent stérilisés par ébullition. Les mains, lavées, étaient passées dans un désinfectant et protégées par des gants de baudruche sur lesquels on passait d'autres gants en fil blanc. L'activité chirurgicale était importante car, outre les polonais, pris en charge par leurs médecins, le stalag comprenait un nombre impressionnant de prisonniers français, belges, puis italiens.

... Les interventions étaient réalisées, chaque fois que c'était possible, à l'anesthésie locale ou loco-régionale, ou au masque d'Ombredanne, quelquefois à l'Évipan. Elles comportaient des interventions « à froid » et pas mal d'urgences :

&endash; gastro-entérologiques (hernies étranglées, appendicites aiguës, occlusions, perforations d'ulcère…)

&endash; traumatologiques et orthopédiques pour lesquelles nous n'avons jamais eu de complication infectieuse malgré la pose de cerclages ou de plaques vissées, seuls matériels dont nous disposions. Il est vrai que l'hôpital était situé en pleine nature, et que l'air n'était pas pollué.

... Beaucoup de nos malades venaient des Kommandos dans lesquels ils étaient répartis. Chaque Kommando possédait une infirmerie dont s'occupait un médecin français assisté d'un infirmier.

... Mais d'autres malades venaient aussi du camp, et en particulier du « camp des Aspirants ». Ce camp abritait les prisonniers ne possédant ni le statut d'officier, ni celui de sous-officier, titulaires d'un grade hybride n'existant pas dans l'armée allemande. Ils étaient, pour la plupart, réfractaires au travail. Ils avaient été regroupés dans un camp séparé. Un général français, assisté de « professeurs volontaires » avait créé une université peu fréquentée. Bon nombre d'aspirants avaient été intégrés aux services sanitaires : « hommes de confiance », chefs de baraque, interprètes, secrétaires, kinésithérapeutes -- les autres demeuraient oisifs. Ils avaient formé une troupe théâtrale qui se produisait dans une baraque servant aussi de cinéma où étaient projetés des films français fournis, je pense, par la Croix Rouge. Ce local avait été décoré avec les moyens du bord et avait un très bel aspect : les allemands l'avaient d'ailleurs surnommé le « Skandal Kino ». Le camp des aspirants était dirigé par un officier supérieur de la Wehrmacht, un homme érudit, aimable, parlant un français impeccable, traitant les aspirants comme des prisonniers de guerre certes, mais sans injustice. Il disparut du jour au lendemain après l'attentat manqué contre Hitler et fut remplacé par un autre officier plus proche du parti.

... Au camp et à l'hôpital, le salut militaire fut interdit aux allemands qui devaient, dorénavant, n'employer que le salut hitlérien, bras tendu. Ceci me valut une visite du Feldwebel de l'hôpital, me demandant, avec un clin d'oeil, si je pouvais lui faire un certificat stipulant qu'il souffrait d'un rhumatisme de l'épaule droite.

... Outre le Feldwebel, le personnel allemand était composé de gardiens, tous d'un certain âge, d'un pharmacien, et d'un médecin chef, officier supérieur que nous n'avions l'occasion de voir qu'au cours des commissions de réforme où nous présentions des malades à rapatrier par train sanitaire. Lorsque le « quorum » des places disponibles pour le départ n'était pas atteint, nous préparions des dossiers fictifs pour de faux malades qui étaient, en général, acceptés par le médecin chef, qui était soit incompétent, soit s'en « fichait royalement ».

... Nous jouissions d'une certaine liberté et nous possédions un Ausweiss qui nous permettait de sortir des barbelés sans gardien, pour une simple promenade mais le plus souvent pour nous rendre au camp des Aspirants.

... Ainsi fonctionnait cet univers clos qui avait eu le temps de s'organiser de 1940 à 1943, date de mon arrivée. Il n'y avait pas eu d'attaque aérienne et ce n'est que de loin que nous avions entendu le bombardement de Koenigsberg et vu l'horizon embrasé par l'incendie de la ville. Tout cela allait être bouleversé par l'avancée russe, déclenchée le 12 janvier 1945 par l'armée du Maréchal ROKOSSOVSKY qui s'engouffra dans une brèche de la défense allemande et arriva aux environs d'Elbing, fermant une poche qui coupait la Prusse orientale du reste de l'Allemagne.

... À l'hôpital, tout bouge. Des mitraillettes supplémentaires sont installées dans les miradors. Des troupes allemandes arrivent et creusent des tranchées où des pièces antichars légères sont mises en batterie. Sur la route qui longe nos barbelés, des colonnes de civils défilent, à pied ou dans des voitures traînées par des chevaux où sont entassés meubles, matelas, vivres, et tout un matériel hétéroclite. C'est un défilé incessant, image toujours semblable des exodes qui nous fait revivre ce que nous avions connu, en 1940, sur les routes de France.

... Le 25 janvier 1945 l'ordre nous est donné de préparer l'évacuation de l'hôpital qui aura lieu le lendemain matin à 5 heures, à pied bien entendu. Notre médecin-chef, le capitaine HILAIRE et LERNOUT le releveur, resteront sur place avec un certain nombre d'intransportables. Ils seront libérés par les russes. Deux colonnes de 400 et 500 hommes du camp prennent le départ le 25 janvier et le lendemain à l'aube c'est 500 personnes de l'hôpital, malades valides et infirmiers qui se mettent en route accompagnés du lieutenant BOISOT, releveur, et de moi-même. Deux médecins russes se joignent à nous.

Les marathoniens de Prusse Orientale

Mais par où allons-nous passer puisque nous sommes encerclés ?

... Si l'on consulte une carte, on voit que la poche de Prusse orientale est fermée, au nord, par une sorte de mer intérieure, le Frische Haff, relié à l'est à la Baltique, et séparé de la pleine mer par une très étroite bande de terre, le Nehrung, s'étendant environ 600 kilomètres vers l'ouest jusqu'au delà de la zone occupée par les russes. Le seul moyen d'atteindre le Nehrung est de traverser le Haff ce qui est possible en cette saison car le bras de mer est pris par les glaces.

... Pour atteindre le rivage du Haff, deux jours de marche forcée sont nécessaires avec une nuit dans un local de planches disjointes, infestée de rats, sans manger ni boire car nos aliments et notre eau sont gelés. La température est très basse moins 35 à moins 40 degrés, et l'étape qui nous conduira à Heiligenbeil, au bord du Haff, est marquée par de nombreuses gelures = pieds, mains, nez, oreilles. Environ 300 hommes, incapables d'aller plus loin, resteront sur place avec deux dentistes et le médecin, le lieutenant BOISOT, lui-même atteint de gelures heureusement peu profondes. Ils seront, après le début du dégel et précédés par un brise-glace, évacués par bateau vers le Danemark.

... Le 29 janvier, à l'aube, nous partons pour la traversée du Haff où se presse une foule de civils et de militaires allemands, de prisonniers de toutes nationalités, de chariots dont certains, trop lourdement chargés, ont rompu la glace.

... Abordant la terre ferme du Nehrung, cette foule se rue vers l'ouest, 60 kilomètres en une journée et une nuit, par un froid intense, sans dormir et ayant, pour toute nourriture, réussi à prélever un peu de viande sur un cheval mort.

... Puis l'exode se poursuit. Il serait trop long de relater ici toutes les péripéties et les souffrances que j'ai raconté jour par jour dans un « journal de bord » qui a aidé Georges PESSEREAU pour la rédaction du chapitre intitulé « Les marathoniens de Prusse Orientale » de son livre « Prisonniers sans capture » (voir référence au début de l'article). À chaque étape, nous recevions les éclopés, faisions des pansements à l'aide du matériel que nous pouvions nous procurer dans les Kommandos des prisonniers français non évacués. Longue marche de plus de mille kilomètres à pied. Étapes commençant à l'aube après d'interminables comptages, étapes de plus en plus épuisantes. Nuits dans des locaux délabrés. Traversée de la Vistule en bac après 13 heures d'attente, et reprise des interminables marches par des hommes amaigris, sous-alimentés, couverts de vermine.

... Le périple se poursuit, après un court trajet en train, jusqu'à Lubeck où nous sommes parqués dans un abattoir et subissons, pour la première fois, un épouillage suivi, ô délices, par la distribution d'une partie d'un colis de vivres américain.

... Le 28 mars, de Lubeck nous allons, en wagons à bestiaux, jusqu'à Kiel où nous sommes enfermés dans un « bunker » dont les systèmes d'aération ne fonctionnent plus et où nous avons failli étouffer. Mais ce bunker nous a protégés d'un bombardement américain qui a détruit les constructions alentour.

... Nous fûmes alors recasés dans un local à la périphérie de la ville d'où nous assistons à des bombardements américains d'une rare violence. Au bout de quelques jours, le train nous transfère à Schleswig (pas très loin de la frontière danoise) où nous trouvons un stalag bien organisé, où la vie et l'alimentation ont continué normalement.

... En tant que chirurgien, je suis envoyé à l'hôpital de ce stalag, où je trouve un collègue, Pierre MICHAUD, interne de Lyon, chirurgien releveur. MICHAUD et un chirurgien serbe m'accueillent chaleureusement et sont horrifiés par cet homme épuisé, squelettique, en guenilles, qu'ils ont devant eux. Quelques jours plus tard, je sombrais dans un état comateux qui dura trois jours et qui fit évoquer le typhus. Le 1 et le 2 mai, la radio allemande diffuse des marches funèbres et nous annonce que le Führer est mort dans son bunker de Berlin « à la tête de ses troupes », précise le speaker.

... Second coup de théâtre, les Anglais auraient annoncé leur arrivée imminente à Schleswig. Cette nouvelle a aussi été entendue par nos gardiens qui nous remettent leurs armes, et disparaissent.

... Le 7 mai, la radio annonce la capitulation du grand Reich. Deux auto-blindées anglaises entrent dans la ville où la troupe n'arrivera que beaucoup plus tard. Du 12 au 15 mai, nos malades et nous-mêmes sommes transférés dans un ancien hôpital allemand occupé maintenant par une formation médico-chirurgicale anglaise. Nous sommes étonnés de voir refermer des blessures sur une poudre miracle qu'ils appellent « pénicilline ». Plus tard tout se précipite : transfert par camion à Lunebourg, aspersion de DDT, et envol, le 24 mai, pour Bruxelles, où les belges nous réservent un accueil inoubliable. Le lendemain nous embarquons dans un train rapide pour Paris. Enfin, la France, bientôt matérialisée par l'uniforme d'un contrôleur nous faisant remarquer avec mauvaise humeur que les rapatriés n'ont pas droit à ce train. L'accueil des autorités à la gare du Nord est impersonnel et l'indifférence de nos compatriotes contraste avec la chaleureuse amitié de Bruxelles.

Mais qu'importe, nous sommes chez nous, et le Métro nous emmène vers notre nouvelle destinée.

Le Site de l'AAIHP