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L'INTERNAT DE PARIS.

Trimestriel d'information
de l'Association Amicale des Anciens Internes
des Hopitaux et Hospices Civils de Paris.

N°18 - octobre 1998

HISTOIRE


Derocque et Dessaint, chirurgiens de cape et d'épée



......................................................................................................Germain Galérant

Commencé au rythme de flonflons de la Belle Époque, jalonné d'ignobles tueries et d'écœurantes oppressions perpétrées dans une indifférence impardonnable, le XXe siècle s'achève sur un sentiment de profonde amertume, bien qu'il ait été traversé de fulgurants génies.

Ne nous laissons pas trop abuser pour autant. Tous ceux qui l'ont vécu n'ont pas démérité, et, s'il est difficile de nous abstraire d'un certain relent de veulerie, consolons-nous par l'évocation des êtres d'exception que la Providence a placés sur notre route.

L'honneur m'est échu de vous en présenter deux. Ils furent mes maîtres à l'école de Médecine de Rouen et leur destinée va nous transporter au-delà des apparences.

Il sera disciple d'Esculape.
Chez les Derocque, de vieille souche normande,une tradition médicale ininterrompue avait déjà modelé l'avenir de l'enfant, prénommé André, qui venait de naître, le 6 août 1896.Noblesse oblige, JeanDessaint, né à Dijonen 1896, apparenté aux ducs de Bourgogne, ne pouvait échapper à autre carrière que celle des armes.
Quatre générations d'officiers d'infanterie l'avaient précédé depuis l'Empire…
Histoire de deux maîtres de l'École de Médecine de Rouen.

 

 

Chez les Derocque, de vieille souche normande, une tradition médicale ininterrompue avait déjà modelé l'avenir de l'enfant, prénommé André, qui venait de naître, le 6 août 1896 : il sera disciple d'Esculape.

A peine levé du banc de l'école, Derocque court à la guerre

Élève au lycée Corneille de Rouen, il obtient, à 18 ans, le P.C.N. et il pourrait commencer sa médecine ainsi que le prévoit son entourage.

Mais c'est la guerre et, inspiré par le trait dominant de son caractère, il estime que son devoir lui ordonne de rejoindre les garçons de son âge qui ont troqué la culotte courte de collégien pour les bandes molletières du Poilu ; il s'engage dans l'artillerie de campagne.

En 1917, il est sous-lieutenant et, lorsque sonnera le clairon de l'Armistice, il aura été deux fois blessé, quatre fois cité, décoré de la croix de Guerre, de la médaille militaire et chevalier de la Légion d'honneur.

Sitôt rendu à la vie civile, il s'inscrit à la faculté de médecine de Paris où il brûle les étapes : externe en 1921, interne en 1923, sa thèse, en 1926, s'accompagne d'une médaille d'argent.

C'est une personnalité accusée. Son existence trépidante s'imprègne d'un humour rabelaisien dont il ne se départira jamais. Devenu patron, il organisait des Tonus mémorables qui menaient des convives spongieusement alcoolisés jusqu'aux approches périlleuses où la gaudriole risque de prendre une tournure orgiaque !

Traité en athlète, il se signala par une prestation inoubliable au Bal de l'Internat de 1925.

 

Une massue pour tout habit, il défile au Bal de l'Internat

Chacun sait que cet événement réunissait tout le corps médical hospitalier en de bien mémorables agapes. Avant les réjouissances de gueule, tous les internes rivalisaient de talent pour un défilé costumé sur un thème donné. En 1925, c'était la mythologie et chaque hôpital fignolait sa propre Empyrée dans l'espoir de décrocher le prix réservé au groupe le mieux réussi.

La tradition voulait que les salles de garde sortissent costumées pour se rendre à la salle Bullier ; une apparition guettée par une foule entourée d'agents cyclistes débonnaires.

Derocque ne s'était pas mis en frais. Déguisé en Hercule, il n'avait pour tout habit qu'une massue.

Le succès fut énorme en dépit des efforts dissimulateurs des flics à roulettes qui, toréadors improvisés, jouaient de leurs pèlerines ! Le triomphe fut la traversée de Paris en autobus à plate-forme où, dans l'encadrement du portillon, gesticulait un barbu à poil, brandissant sa massue.

Un qui n'apprécia par du tout la plaisanterie, ce fut le directeur de l'hôpital. Son respect pointilleux du règlement l'opposait sans cesse aux internes ; Derocque était son souffre-douleur. Pour lui, ces jeunes gens étaient de " mauvais garçons " qui méritaient un dressage à poigne et il prétexta de l'esclandre olympien pour fermer la salle de garde. De ce fait, les internes, y compris celui de garde, durent loger dans un hôtel-restaurant voisin.

Quelques jours après une infirmière arriva entre la poire et le fromage :

- " On vient d'amener une femme exsangue, mais finissez de bouffer, il n'y a pas de presse, elle est déjà morte… "

Derocque ne fait qu'un bond ! Le diagnostic est évident : rupture de grossesse extra-utérine. Un camarade arrive sur ses talons, leurs regards s'échangent :

- " On y va quand même ".

 
"On y va quand même" tout l'homme est là

 

Pas d'anesthésie, l'état syncopal en tiendra lieu. Mais il faut transfuser ? Derocque tend son bras et 400 g sont recueillis, citratés puis injectés à l'opérée.

- " À ton tour ! "

L'autre donne lui aussi 400 g. Et c'est le miracle ! La moribonde pousse un gémissement, elle est sauvée et sortira bientôt guérie.

La famille éperdue, se répand en dithyrambes et alerte les journalistes. Les voici auprès du directeur qui, ingénument, s'étend en complaisance sur une réussite qu'il attribue à sa merveilleuse organisation administrative. Derocque l'apprend. Il explose ! Il rattrape les gens de presse et leur conte l'exil de l'internat dans une gargote minable, la paperasserie paralysante lorsqu'il faut réparer un appareil détraqué et les malades en urgence qui se morfondent au Bureau des Entrées parce qu'ils n'ont pas sur eux la quittance de loyer indispensable à leur admission en règle !

Tout l'homme est là.

- " On y va quand même ".

Et il mène l'opération au pas de charge. Ce n'est encore qu'un étudiant de 4e année, mais il décide :

- " Pas d'anesthésie. Le chirurgien de service ? À quoi bon puisque les secondes sont comptées ? Courir après un donneur de sang ? Trop long ; son collègue et lui sont du groupe universel, ça suffit ! "

N'oublions pas, non plus, le refus de toute publicité mensongère ostentatoire :

- " Nous n'avons rien fait d'autre que notre métier. Pas de quoi s'extasier ".

 
Botanique, astronomie, alpinisme,l'homme est complet

 

Le voici diplômé. Il s'installe à Rouen où son père est déjà chirurgien hospitalier et accède bientôt au même poste. Il se partage entre l'Hôtel-Dieu, l'enseignement et une clientèle privée de plus en plus vaste. Il émane de sa personne une aura qui suscite l'amitié indéfectible.

Malgré son labeur écrasant, il ne se confine pas dans sa profession. Il s'intéresse à la botanique et à l'astronomie. Enfin rugbyman confirmé, il ajoute un sport à sa mesure : l'alpinisme, qui lui vaudra la présidence du Club Alpin. Sa réussite est complète dans tous les domaines.

Cependant, un souci le hante.

Comme tous les gens avisés, il a la prescience d'une guerre imminente et désastreuse. Il ne mâche pas ses mots : " L'industrie d'armement d'Hitler travaille jour et nuit, la nôtre se borne aux 40 heures, quand elle ne fait pas la grève ! Nous allons vers une irrémédiable dérouillée ! "

Elle éclate, la guerre. Et le docteur Derocque, capitaine d'artillerie, ancien combattant de 14-18, âgé de 41 ans, père de cinq enfants, est affecté au 45e régiment d'artillerie hippomobile où il commande la 8e batterie. Car, si l'armée allemande sent l'essence, la nôtre sent seulement le crottin.

Tous les Rouennais sont surpris. Qu'attend donc Derocque pour rejoindre le service de Santé ? Ce ne sont pas les officiers d'artillerie de réserve qui manquent, pourtant ? Quel gâchis !

Il refuse tout net.

 
Le premier devoir d'un père est l'éducation morale de ses enfants

 

Qui le pousse à rester artilleur ? Ce n'est ni l'esprit d'aventure ni le désir de paraître - il n'arbore jamais sa croix de guerre rehaussée de trois étoiles pas plus que sa légion d'honneur - mais un sentiment beaucoup plus noble qu'il confie à une épouse admirable :

" Je considère que le premier de mes devoirs de père est l'éducation morale de mes enfants. Ce que j'ai toujours cherché à leur inculquer et ce dont je veux, avant tout, les imprégner c'est l'esprit de générosité et de sacrifice. Or, la meilleure méthode d'éducation réside dans l'exemple. J'en ai là l'occasion, j'aurais tort de m'y dérober. Mes enfants sont actuellement trop jeunes pour comprendre, ils apprécieront plus tard. J'espère qu'ils auront alors assez de grandeur d'âme pour ne pas reprocher à leur père d'avoir sacrifié leur bien-être. Il faut lutter contre un état d'esprit trop répandu actuellement et qui fait que chacun arrive à trouver, avec une apparence de raison, une fonction exempte de risque où ses aptitudes l'appellent plus que tout autre. Alors qui donc fera la guerre ? Les paysans, toujours eux. Et qui les commandera ? Personne. Ou bien les instituteurs. Non, il faut que chaque classe sociale, chaque profession, paie son tribut sur la ligne de feu. Il faut voir, surtout, que la question du commandement est fort épineuse en ce moment. On a tué, en France, l'esprit de sacrifice ; il faut l'insuffler à nos pauvres types qui sont là-bas, dans la boue, et qui, eux, n'ont pas pu faire autrement. Pour les commander, ils ont moins besoin de techniciens que d'animateurs ; il leur faut des chefs qui ont la foi, le feu sacré. C'est pour eux un réconfort et un exemple de voir, venu pour les commander, un officier qui est là de par sa propre volonté alors que son âge, sa profession, tout lui permettait d'être ailleurs. En résumé, j'aurais peut-être fait mon devoir en étant dans le service de Santé mais je crois être plus utile en restant dans la troupe. Lorsqu'un devoir comporte des degrés, il faut choisir le plus élevé. "

 

Sur le front de 1940, juché à plusieurs mètres de haut, il tombe et réduit lui-meme sa luxation
 

L'avenir n'allait pas tarder à illustrer cette profession de foi aux accents cornéliens.

En Lorraine, dans le froid d'un hiver glacial, des hommes de son unité s'affairent difficilement à démonter un bâtiment vétuste. Derocque intervient : " Laissez ça les gars, l'acrobatie ça me connaît ! " Et le voici juché à plusieurs mètres de haut lorsqu'une poutre vermoulue se brise, il tombe à terre avec une luxation du genou. Aux brancardiers qui accourent il ordonne : " Vous m'évacuerez tout à l'heure, pour le moment vous allez m'aider ". Et il réduit lui-même sa luxation.

On l'hospitalise. Il redoute la suite : 40 jours de plâtre et une ankylose.

Sa détermination ne faiblira pas. L'immobilisation terminée, il exécute des centaines de fois par jour de douloureux mouvements de flexion qui aboutiront à une récupération parfaite. L'hiver n'est pas terminé qu'il rejoint sa batterie et, par un froid sibérien, il s'offre le luxe de faire six étapes consécutives à pied - comme ses hommes. Toujours l'exemple.

Le 10 mai 1940, c'est l'offensive allemande.

Le 45e d'Artillerie tient bon, mais, débordé sur ses ailes, il doit sans cesse reculer. La mort dans l'âme, Derocque repasse près du chemin des Dames où il a été blessé en 1918. Le 11 juin, il est à Corribert, non loin de Fère-Champenoise et chevauche sous le harcèlement des Stukas. Il voit une bombe se décrocher…

- " Couchez-vous ! "

Mais, lui, reste debout. Pour l'exemple.

Frappé à la tête, il meurt sur le champ.

 
L'histoire de sa famille entraine Jean Dessaint aux armes

Noblesse oblige. Pas question pour Jean Dessaint, né à Dijon en 1896, apparenté aux ducs de Bourgogne et qui épousera une Bernadotte d'envisager d'autre carrière que celle des armes. Quatre générations d'officiers d'infanterie l'ont précédé depuis l'Empire ; tous des héros prestigieux.

1914. Engagé volontaire, bientôt aspirant, il rejoint le 27e d'Infanterie qui fait brigade avec le 10e où son père commande un bataillon.

Le 7 mai 1915, les deux unités sont à Bois d'Ailly, en Argonne. Un ordre arrive : " attaquer par surprise, à la baïonnette, sans préparation d'artillerie, le saillant conquis par l'ennemi, pour venger nos camarades tombés hier ".

 
C'est sur le champ de bataille qu'il voit son père mourir

Les hommes, exténués par quinze jours de combats où les corps à corps ont été fréquents, n'ont ni mangé ni dormi depuis de longues heures. Trois assauts échouent et de longues files de fantassins amenés en renfort cheminent vers la première ligne où ils vont livrer un combat meurtrier à leur tour. Dans le boyau d'accès, ils croisent des brancardiers chargés de sanglants fardeaux. Dessaint est là quand des porteurs lui jettent un regard embarrassé : il soulève la tunique à quatre galons qui recouvre, un cadavre. C'est celui de son père.

" Une raison de plus pour me battre " dit-il.

Ce qui lui vaut, bientôt, d'être deux fois cité, promu sous-lieutenant et porte-drapeau du régiment.

Le 14 août 1916, à Verdun, il est blessé, se rétablit et reprend sa place. Chef de section de Corps francs, il rampe la nuit vers la tranchée ennemie pour exécuter des coups de mains audacieux, couper des barbelés, piéger des lignes téléphoniques et ramener des prisonniers.

Le 30 octobre 1917, un obus le cloue dans le no man's land. Il gît seul parmi les agonisants et les morts. Un homme surgit qui le ramène au prix d'efforts inouïs ; jamais il n'a oublié ce soldat dévoué qui, dans le civil, n'était qu'un pitoyable repris de justice.

Pendant quatre mois, à Sainte Menehould, Dessaint va lutter contre la mort. Non seulement il a fallu l'amputer d'une jambe mais l'autre est terriblement mutilée et il est atteint de gangrène gazeuse et de tétanos. Sa survie tient du miracle. Enfin il sort de l'hôpital ! Juste à temps, le lendemain les bâtiments sont anéantis par un bombardement.

 
Il sera chirurgien pour croiser le fer avec la souffrance et la mort

Il a 21 ans. Du rêve militaire il ne subsiste que de glorieux souvenirs ; des citations, la Légion d'honneur, la Croix de Guerre et la Médaille militaire. Un choix de carrières lui est présenté et il ne tenait qu'à lui d'entrer dans la diplomatie ; il en avait l'envergure.

Il refuse. En tant que patient, il a discerné l'avenir prometteur de la chirurgie moderne et ce lutteur déterminé se lancera sur un champ de bataille à la mesure de ses ambitions généreuses : il sera chirurgien pour croiser le fer avec la souffrance et la mort.

Inscrit à la faculté de médecine de Paris, il est, en 1924, interne puis prosecteur et chef de clinique chirurgicale. En 1934, à l'issue d'un concours très disputé, il devient chirurgien des hôpitaux de Rouen et, deux ans après, chef du service de chirurgie infantile. EN même temps, il enseigne la physiologie et l'anatomie à l'École de médecine de la métropole normande. Tous ses élèves ont gardé le souvenir de ses exposés magistraux enrichis de schémas multicolores qu'il traçait à main levée au tableau noir, de véritables œuvres d'art que nous effacions à regret.

1939. À nouveau la guerre.

Dès la capitulation, le chef de Corps Francs réapparaît. Il s'incorpore au réseau Sussex, soigne et dissimule les clandestins blessés, manipule les émetteurs de radios, alterne coups de bistouri et coups de feu.

 
Ses étudiants restent interdits devant son verbe acéré

Après 1944, il restera sourd aux sollicitations de ceux qui, de tout bord, auraient voulu utiliser son éclatante personnalité. Ses blessures le meurtrissaient davantage à mesure qu'il vieillissait : " C'est ma jambe de bois qui marche le mieux ", laissait-il échapper dans de rares moments d'abandon. Les moignons étaient le siège d'ostéites intarissables qui se jouaient d'une antibiothérapie balbutiante : toujours, une esquille pointait sous la peau ou titillaient quelques rameaux nerveux.

Nous restions interdits devant cette souffrance qui ne l'empêchait pas, quand il le fallait, de nous pousser l'épée dans les reins. Telle cette nuit où il opérait un ulcus perforé et où nous le vîmes soudain pâlir tandis que ses gestes se faisaient plus lents. L'injonction tomba, d'une voix blanche :

- " Qu'un deuxième aide s'habille. Très vite ".

Et aussitôt :

- " Continuez seuls. Je vous guiderai ".

Il s'affala sur un tabouret tandis que l'externe balbutiait :

- " C'est… ma première aide opératoire… "

La riposte jaillit, cinglante :

- " Et alors ? Vous vouliez commencer par la deuxième ! Soyez plutôt attentifs à mes ordres ! "

Des hommes de cette trempe ne sont pas toujours d'un abord facile.

Dessaint admettait la controverse ; il la recherchait pourvu qu'elle fut loyale. Mais malheur à qui tentait de biaiser ! Son regard d'acier devenait fulgurant et la parole, mordante, prenait une dureté métallique. L'algarade terminée, il tendait à son adversaire une main large et franche appuyée d'un :

- " Je vous ai blessé ? C'est ainsi. Vous aviez tort. "

 
Sa dure écorce tombe devant les berceaux vides des nouveaux-nés morts

Il était rigoureux sur la tenue. Il fustigea l'un d'entre nous qui, par un après-midi torride avait déboutonné son col de chemise : " Sortez ! On n'assiste pas à mon cours pour exhiber du poil au vent ". Une autre fois, il perçut une odeur de tabac dans l'amphithéâtre et fit ouvrir portes et fenêtres en dépit du froid hivernal. Nous eûmes ensuite l'explication : en bourguignon de lointain lignage, il était chevalier du Tastevin authentique après avoir triomphé des redoutables épreuves gustatives imposées et se montrait pointilleux sur tout ce qui pervertissait les arômes, la fumée de tabac en particulier. Ce n'est pas lui qui aurait supporté la gastronomie assaisonnée au jus de pipe et au mégot resucé qui nous est infligé maintenant !

En dépit de son écorce rude, il recelait des trésors de sensibilité dont il déployait toutes les ressources auprès de ses petits malades. Il réussissait l'exploit mirobolant de pratiquer dans la sérénité des examens pénibles sur des braillards que la vue d'un abaisse-langue mettait en transes. Et puis, en un temps où les complications respiratoires grevaient la chirurgie infantile d'une lourde mortalité, les mots consolateurs lui venaient avec une infinie délicatesse auprès des malheureux penchés sur un berceau vide à jamais.

Il avait atteint la soixantaine lorsqu'il dut se résoudre à cesser toute activité libérale pour ne se consacrer qu'à l'hôpital et aux travaux de l'Académie de chirurgie.

Sa mort survint peu après au terme d'une agonie atroce.

Le 24 février 1966, à Rouen puis à Dijon, des soldats en armes rendirent les honneurs militaires au professeur Dessaint, chirurgien des hôpitaux de Rouen, enseveli dans son uniforme de lieutenant du 27e régiment d'infanterie.

Telles furent, sobrement esquissées ainsi qu'ils l'auraient voulu, les destinées de ces deux chirurgiens, des figures de légende qui ne sauraient tolérer une mémoire oublieuse.

Avec Claude-Nicolas Le Cat, Jacques Daviel, Félix-Archimède Pochet, les Flaubert, Charles Nicolle et Félix Dévé, le fronton de la faculté de médecine de Rouen pourrait s'orner d'une fresque lapidaire magistrale.

Et pour cariatides à la Michel-Ange, deux Atlantes : Derocque et Dessaint.

 

Publié avec l'aimable autorisation de la Société française d'histoire de la médecine, dont le Dr Germain Galerant est Vice-président..

 

 

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