..... Quiconque a vu un bal costumé à l'Opéra en a ressenti une forte sensation d'écoeurement. Vers deux heures du matin, dans le foyer, des viveurs aux yeux lubriquent, malmènent des femmes à demi-nues et les loges se transforment en lieux de prostitution. Le bal des Quatre z'arts et le bal des internes sont une réaction contre la grossiereté de ces bals costumés. Les femmes n'y sont pas plus habillées, ni les hommes moins joyeux. Mais en se costumant et en se groupant pour former des tableaux allégoriques, tous se préoccupent du coté artistique et l'art exclu tout spectacle grossier. ..... Se souvient-on des scènes échevelées qui amenèrent il y a quinze ans, la fermeture du bal de l'Internat par arrété de police. Les anciens qui viendraient voir aujourd'hui le nouveau bal ne le reconnaitraient plus. ..... Plusieurs semaines avant, chaque salle de garde travaille à son char, à ses costumes; la bibliothèque est transformée en atelier chacun donne son idée, il s'agit d'obtenir la médaille d'or. ..... On distribue aux invités d'élégantes cartes d'invitation
avec vignettes sur lesquelles on peut lire le réglement qui suit
: ..... Le soir de la composition de l'Internat, tous se costument et se dirigent vers Bullier. Les chars ont été apportés dans la journée. Après quelques tours de danse, à minuit résonne le gong qui annonce le défilé devant les juges. ..... Voici Broca avec quantité de cocottes grandeur nature, cocottes gracieuses et pas du tout chocantes, comme les enfants ont l'habitude d'en faire avec du papier. Les poursuivent d'énormes grenouilles vertes qui sautent et coassent. Défilent encore un baril de morue, une grue, une marmitte et des lapins. Cochin représente une fantasia arabe, les chevaux piaffent et galopent, mais ne les craignez point ils sont en carton. Sur le char des ....... se tortillent au son du tambourin et des castagnettes. ..... Avec l'Hotel Dieu, la note macabre : une bière drapée de noire avec larmes d'argent symbolise les camarades qui se sont abstenus " mort d'une absence de gaité". Le maitre des cérémonies préside vétu d'un maillot noir sur lequel est dessiné le squelette, les internes suivent attristés. ..... Bicètre revit les ages préhistoriques. Farouches, vétus de peaux de betes, les males sont attelés à un traineau où ils ont mis leurs compagnes et leur maigre bagage. ..... Voici s'avancer un grand bateau "le Spina-Ventosa" trainé par des marins presque authentiques vétus de toiles brune imperméable sans oublier le brûle gueule. C'est la salle de garde de Berck sur Mer, où le Dr Ménard soigne avec succès "la tuberculose des eaux" comme l'indique une bannière humoristique. ..... A d'énormes croix sur des grands chars sont ligottés les martyres entourées de soldats romains, de licteurs et de gladiateurs. Les martyres portent la leur. Et derrière un brillant cortège impérial suit pour assister à l'éxécution. ..... La salle de garde de Lariboisière a organisé ce magnifique cortège qui lui vaudra la médaille d'or. ..... Avec la Salpétrière autre cortège romain : de soldats, prétres, sénateurs, vestales et courtisanes, c'est le triomphe de Messaline trainée sur un char par les captifs gaulois. Ils vont nous donner le spectacle d'un combat de gladiateurs. Le tuba résonne, on s'arrète et sur un signe impérial, myrmidon et rétiaire en viennent aux prises, le myrmidon est large et robuste, le rétiaire mince et agile, le premier est vaincu et l'assistance sans pitié, pollice verso, réclame la mort. ..... A signaler encore l'Ogre et le petit Poucet par les Enfants Malades, le défilé des fruits et des fleurs par Beaujon, les Radjahs de Saint Louis, les Boxers de la Pitié, etc ... etc .... ..... Et chaque groupe fait deux fois le tour de la salle au son d'une musique appropriée; des airs arabes pour Cochins, romains pour Lariboisière et la Salpétrière, Berck s'avance au son de l'air populaire "Il était un petit navire". ..... Le défilé terminé on décerne les médailles
et les encouragements, on donne des prix de beauté, et chaque groupe
prend place pour festoyer à des tables préparées
à l'avance dans les galeries. Autrefois, chaque salle de garde
festinait dans son hopital, et on se rendait ensuite à Bullier
souvent fort émus. Aujoud'hui on y va l'esprit libre, après
une légère collation, on défile et on parade à
tête reposée, à la fin seulement on vide les coupes
et on échange les gais propos. ..... Jusqu'en ces derniers temps nos plaisirs étaient grossiers et barbares et nos plus belles fetes entachées de mauvais gout. ..... Affinons-nous, cultivons les arts, revivons un grand siècle comme le furent ceux de Périclès et de la Renaissance. Les nations artistes sont les plus heureuses. ..... Ce sont aussi celles qu'admire la postérité. Tel état apparait formidable qui remplit la terre de ses exploits, tel autres étonne par son activité commerciale et ses richesses auxquels on ne pensera même plus dans quelques siècles. Mais on gardera un souvenir attendri à tel autre qui aujourd'hui parait moins fort et moins propère, et l'avenir le jugera comme nous jugeons Athènes et Florence. Félix Regnault. |
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