association des salles de garde des internes des hopitaux de paris: une histoire des IHP
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Pierre Lataix

19.. - 1996

Mémoires d'externat, d'Internat

PIerre Lataix

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      Les externes aident les internes et n'opèrent qu'exceptionnellement. Chez Antonin Gosset, où j'ai fait ma première annnée d'externat, les externes pouvaient passer trois mois à la consultation du service. La consultation au sous-sol était dirigée par deux assistants qui, chaque jour, se succédaient: Barragué et Blondin-Walter (aucun rapport avec mon bon maître d'internat, Sylvain Blondin).

      Le jour du premier assistant, était un jour faste, car Barragué confiait à l'externe de petites opérations: circoncision pour phimosis, ablation de petites tumeurs bénignes (kystes, adénomes, lipomes, etc.). L'externe les enlevait sous anesthésie locale.

      Blondin-Walter, au contraire, ne laissait pratiquement rien à l'externe. Un jour où il assurait la consultation, se présenta un homme porteur d'un volumineux lipome du cou. J'avais très envie de m'offrir cette opération. Avec la complicité de l'infirmière, je fis attendre le malade jusqu'après le départ du Blondin-Walter. Très fier, je m'attaquai, sans aide, à ce lipome qui était très gros avec une large anesthésie locale. Rapidement, un saignement important m'obligea à multiplier les ligatures des petits vaisseaux, ce qui, me trouvant seul, était long. Plus je faisais le tour de la tumeur, plus elle apparaissait étendue, poussant des prolongements entre les muscles voisins et m'obligeant à compléter l'anesthésie locale. Les autres externes avaient quitté le service. Je n'avais pas un aide pour écarter la plaie et faciliter mon travail et j'étais trop orgueilleux pour demander à l'infirmière de me chercher du secours. Celle-ci trouvant le temps long, s'éclipsait de temps en temps puis, revenait, l'oeil goguenard, pour voir si l'opération avançait. Les champs opératoires et ma blouse étaient couverts de sang. Le malade commençait à s'impatienter. L'opérateur avait très chaud, regrettant son imprudence et sa trop grande confiance en lui. Combien de temps dura cette laborieuse opération? Je ne sais. Mais je terminai épuisé et humilié, fermement décidé à ne plus jamais opérer sans autorisation et sans un aide qui aurait, bien sûr, simplifié mon travail.

... Une intervention chirurgicale doit se dérouler dans le calme et le silence. Cependant, certains chirurgiens peu patients, ont l'habitude d'invectiver leurs aides.

... Le Pr. Hartmann était célèbre par ses colères. Il envoyait des coups de pied dans les jambes de ses assistants. Certains de ses élèves qui avaient souffert de la brutalité du patron avaient juré de ne jamais l'imiter. D'autres, au contraire, avaient pris la mauvaise habitude d'agir comme lui. Tel fut le cas de Boppe, l'orthopédiste dont j'ai été interne, qui envoyait son bistouri à travers la salle d'opération lorsqu'il était hors de lui.

... Petit-Dutaillis était également célèbre par ses colères

... "En 1934, je venais d'être nommé à l'externat et j'avais la chance de pouvoir passer un an dans le service très convoité d'Antonin Gosset à la Salpétrière.
      Mon maître Gosset s'était entouré d'une brillante pléiade d'assistants. Parmi eux, Petit-Dutaillis excellait dans la chirurgie abdominale et opérait remarquablement les thyroïdes. Cependant, Antonin Gosset et le Professeur Guillain l'avaient poussé à se lancer dans la neurochirurgie. Il n'y avait pas encore en France de service de neurochirurgie. A Paris, partis d'horizons très différents, Thierry de Martel, Clovis Vincent et Petit-Dutaillis étaient alors les trois pionniers de la chirurgie nerveuse .Et c'est ainsi qu'externe d'Antonin Gosset, je fus pour quelques mois l'élève de Petit-Dutaillis, jeune chirurgien des hôpitaux, candidat à l'agrégation. L'externe aidait en second au cours des interventions.
      La nuit qui précédait l'ablation d'une tumeur cérébrale, je ne dormais pas d'un sommeil serein. Une redoutable épreuve m'attendait le lendemain. L'intervention commençait au début de la matinée et se terminait plus ou moins tard dans l'après-midi; une durée de six à huit heures était courante. De longues heures pendant lesquelles l'interne et les deux externes qui l'assistaient allaient se faire quelque peu malmener. Tout commençait dans le calme, et pour l'opéré, qui devait se contenter à cette époque d'une anesthésie locale, et pour le chirurgien. La taille du volet crânien n'était pas terminée que les choses commençaient à se gâter. Au fil des heures, le ciel se couvrait de nuages, les sourcils de notre maître se fronçaient, signe avant-coureur de l'orage. Les demandes d'instruments étaient prononcées sur un ton plus sec. Et nous savions tous, aides et infirmières que l'orage ne tarderait pas à éclater. C'étaient d'abord des coups de tonnerre lointains et espacés. Ceux-ci ne s'adressaient qu'à l'interne, qui essuyait toujours les premiers coups de boutoir. Et l'on attendait l'injure qui allait le frapper et qui marquerait le début de la tempête: "Quand on est aussi con que vous, on fait n'importe quoi, on fait de la médecine, on ne fait pas de chirurgie". C'était l'injure suprême, invariable, toujours la même... Mais bientôt personne n'était plus à l'abri. Les éclairs les plus inattendus se déchaînaient, les plus surprenantes apostrophes et aussi les sarcasmes les plus douloureusement piquants. Les deux malheureux externes s'affairaient fiévreusement à la préparation du matériel. Ce n'était pas une petite affaire, car, en dehors des lames de coton imbibées de sérum, et de la cire dont on lubrifiait tous les fils, il fallait préparer les clips. Les clips étaient notre bête noire. Ils n'étaient pas alors préparés à l'avance par la panseuse sur des chariots. L'externe devait les découper dans un ruban de fil d'argent et les monter sur la pince porte-clips. C'était un travail minutieux qui, dans le calme, demandait déjà de la patience. Il devenait très éprouvant pour les nerfs lorsque les appels du maître: "clip!" "clip!", "clip!" se succédaient d'autant plus vite que l'hémorragie persistait et que la fièvre s'élevait. Nous étions comme les servants d'artillerie qui doivent approvisionner la pièce pendant le tir. Peu à peu, la cadence s'accélérait et les servants débordés étaient les premières victimes de la canonnade. Au milieu des interjections du maître, on entendait parfois, comme un écho, les plaintes de l'opéré, dont la patience était mise à dure épreuve, par la longueur de l'opération et qui suppliait qu'on l'arrêtât. L'intervention terminée, la tempête s'apaisait d'un seul coup. De bouillant et impétueux, Petit-Dutaillis devenait tout à coup détendu, bienveillant, souriant, comme si rien ne s'était passé, qu'il eut oublié ses sarcasmes ou qu'il eut voulu se les faire pardonner. Ses accès de colère n'étaient suivis d'aucune rancune. Ceux qui ont été plus tard ses élèves ne reconnaîtront sans doute pas leur maître et m'accuseront de caricature. J'ai su, par mes amis Guiot et Janny et par d'autres que, lorsqu'il eut la chaire de Neurochirurgie, notre bon maître avait recouvré le calme et l'indispensable patience."

Clermont, mai 1996.

Service du Pr Metivet