le Bal de l'Internat des Hopitaux de Paris

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Le Bal de l'Internat

Le Bal de l'Internat 1899

Louis Morin, les Quat'saisons

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Bal des Quat'z'arts
Bal de l'Internat


.....Imaginez les pires tristesses de la vie du jeune médecin.
.....Les jours et les nuits passés à l'hopital, parmi la torture des pauvres corps qui se désagrègent et qui, avant de subir la convulsion finale, geignent et pleurent leurs souffrance.
.....Ou encore les journées d'étude à l'Ecole pratique : les caves , les dépotoirs des hopitaux, où la triste fin des malheureux s'exagère par l'horrible mise en scène des cadavres balancés aux mains des garçons indifférents, et qui glissent au tas de la chair à scalpel. Et les salles de dissection où les pipes fument en vain, sans pouvoir surmonter l'odeur fade des macchabées.
.....L'enfer de Dante n'est qu'une plaisanterie auprès de telles réalités. Aussi les garçons de vingt-cinq ans qui font ce dur apprentissage ont sans doute droit plus que les autres à des échappées de réactive gaieté. La gaieté des étudiants en médecine est plus intense et meilleure enfant que celle des étudiants en droit, parce qu'elle est plus rare, et aussi parce que les cerveaux sont un peu mieux excercés par des études biologiques que par d'inutiles excursions dans l'inextricable foret des Lois et Arrets, foret mauvaise, où l'on perd pour la vie le sens du juste de de l'injuste. Aussi les médecins sont les amis des artistes, avec lesquels ils fraternisent dans l'interet que les uns et les autres portent à la personne humaine, et est bien rare qu'une salle de garde n'ait pas pour habitués quelques peintres ou sculpteurs. C'est ce commerce de tous les jours avec des artistes qui a permis, à des jeunes gens aussi sérieusement occupés que le sont des internes, de réaliser cependant cette année, à leur bal annuel, une série de cortèges qui, tout simplement, valent ceux des Quat'z-arts pour l'esprit, la richesse et le gout. il faudrait tout citer, avoir tout croqué, pour faire partager la surprise qui nous attendait, car nous comptions seulement sur une amusette de garçons d'esprit : mais, faute de place, nous ne pourrons nous étendre que sur le cortège organisé par la Charité, avec l'aide amicale du peintre Bellery-Desfontaines.
.....Bellery ne nous en voudra pas de le nommer ici, et de rappeler qu'il fut l'auteur de cette Notre-Dame de Paris des Quat'z-arts de 97, que nous avons décrite dans les Carnavals parisiens. Il nous semble bon de signaler un artiste dont la belle fantaisie, appuyée sur les plus sérieuses et les plus solides études, nous promet un peintre et un décorateur qui va compter parmi les premiers. Bellery est un Quat'z-arts enthousiaste et impénitent, il soutient que cette institution est le plus beau geste artistique qui ait été fait depuis l'éposque païenne. Ce n'est pas nous qui chercherons à le contredire. Mais il veut que la fete soit réglée sévérement, pour que toutes les parties de la figuration soient mise en valeur. N'est-ce pas lui qui a donné aux internes l'idée de faire défiler leurs cortèges l'un après l'autre, dans l'immense nef de Bullier ? Chacun d'eux faisait deux fois le tour de la salle et se disloquait en quelques minutes, avant que le suivant commençat son évolution. Il en résultait un ordre de bon gout qui manque parfois aux Quat'z-arts, surtout depuis que le souper, servi dans le milieu de la salle du Moulin, l'encombre désastreusement pour la fin de la nuit.
.....Un temple grec d'une correction académique avait été édifié dans un coin de la salle, d'après la maquette de Bellery. C'est de là que la théorie grecque devait descendre.
.....Guerriers, joueurs de harpe, danseuses à peine voilées de gaze, pretres et prétresses, et l'Amour, dont la petite Tanagra avait pris la place, à la grande joie des spectateurs (mais, tout de meme, ce n'était pas bien de quitter vos camarades, Mademoiselle!) poète, couronné de lauriers et pinçant la grande lyre d'or, et les Heures escortant le char de Vénus, et Vénus elle meme, que trainaient de pittoresques tritons sonneurs de conques marines, baignés jusqu'au torse dans une vague de toile, - et Bacchus, qui avait perdu son tonneau, mais dont le profil de jeune vainqueur des Indes trainait après soi des coeurs de femmes, sous les espèces de deux bacchantes ivres d'amour, tous ces personnages de la Grèce héroïque étaient costumés avec le soin savant que Bellery met aux reconstitutions de ses toiles.
.....Tout autre le cortège des Enfants Malades : la fantaisie des jouets, des contes et du théatre de l'enfance, un guignol marchant, où Polichinelle rossait ses victimes ordinaires, le gendarme et le commissaire; les contes : le Prince Charmant, la Belle et la Bete, l'Oiseau Bleu, le Petit Poucet, etc .... toute la féérie qu'une cervelle de quatre ans, si naïvement imaginative, pare d'une plus divine poésie que celle de Shakspeare. Les joujoux, qui sont l'essai trompeur de la vie que l'enfant a si hate de vivre; le petit soldat qui tue pour rire, les bébés roses, le souci de rire de la maternité, etc etc, et les chevaux de carton, les toutous, les petits lapins qui mangent la feuille de chou et battent du tambour.
.....Mais pour prouver que nous ne sommes pas seuls de notre avis, laissons parler un peu Lucien Beaumont, juge délicats des fetes parisiennes. Nous sommes ravis de nous trouver d'accord, dans nos admirations, avec un esprit aussi distingué que celui de l'Académicien d'Etampes. Il nous permet d'emprunter à son compte rendu de l'Europe Artiste, du 28 octobre 1899, le passage suivant d'une description que nous ne saurions faire aussi bien que lui.

....."Voici les cortèges. Chaque hopital a organisé le sien. Précédées d'une bannière aux spirituelles enluminures, les théories défilent aux accents des cuivres, graves, solennelles ou rapides selon les sujets. L'Hotel Dieu ouvre la marche : une noce de village amusante, bariolée, mélange de paysans ahuris et de folles donzelles, dont l'ignorance a étrangement choisi les places où fleurit le bouquet d'oranger.
.....Lariboisière a composé un superbe et tragique descente aux enfers : suppliciés sanglants, décapités, crucifiés, trépanés, écorchés, sciés, traversés de clous géants et de glaives. Dans sa barque, Don Juan, qu'implorent des blanches amoureuses, contemple sans s'émouvoir ces tortures et ces douleurs....
.....En marchande de soupe une belle fille, qui ne pourrait préter à la vérité la moindre parure, personnifie la maison Dubois; flanqué d'une blanche troupe de marmitons, patissières, cuisiniers et servantes, son pavois domine la horde avide de ces mercenaires au nez rougeoyants, aux minois rieurs. on applaudit.
.....Frissonnez! Voici la Salpétrière : un cerveau gigantesque d'où jaillit une folle échevelée, d'où se prolonge, en long reptile aux molles ondulations, la moelle épinière, portée par une douzaine de carabins en blouse d'opération; autour, grimacent et sautent de démonisent toutes les détraquées, tous les déments. Ce cauchemar macabre se déroule au bruit d'une musique de sabbat qu'accompagne le tonnerre des applaudissements
."

.....Ici nous croyons nous rappeler, détail omis par M. de Beaumont, que les nerfs partant de cette moelle épinière étaient portés par des personnages figurant les sens de la bete humaine.

.....".... Puis c'est le japon, exact, pittoresque et farouche, dont Saint Antoine a reproduit à miracle les armures, les divinités, les bannières, les baladines, les masques. Une adorable multitude de mousmés jolies, relevant les pans de leurs kimono fleuris, s'éventent et font des grâces aux samouraï bardés de laque. Bravo!
.....Chevauchée de dragons bleus Louis XV, dont les montures en carton se cabrent et galopent avec un entrain furieux, c'est Trousseau. Les charges folles s'irradient, s'arrètent, puir repartent et disparaissent dans un nuage de poussière.
.....Honneur à Lourcine! Son superbe cortège révolutionnaire saississant de vérité, reconstitue les scènes terribles de 93; une foule de sans-culottes avinés, de tricoteuses en haillons, chante et danse la Carmagnole autour de la guillotine, dont le couperet vient de raccourcir un aristocrate. Sur une charrette trainée par des citoyennes en rut de meurtre, de fières victimes défient leur bourreaux, agitant, sur des piques sanglantes, des têtes coupées, des coeurs, des mains, des entrailles....
.....L'atroce vision fait place aux luttes romaines de Cochin, aux monuments phalliques de Bicètre, à l'apothéose de l'éminente philantrope qui fonda l'hopital Boucicaut, aux anti-alcooliques du Bastion 29 (Hospice Chantemesse), avec son défilé de chastes bénédictines, au déménagement purotin de l'hopital Anglade..."

.....Lourcine avait repris l'idée des Quat'z-Arts, dont nous parlons plus haut, dans son cortège de sans-culottes, mais en ajoutant très heureusement, une charette de condamnés du plus pittoresque effet, et la guillotine elle meme, irrésistible et dernier argument de la sainte Démocratie. On peut dire, en parodiant le mot de Gavarni : "Quand on aurra discuté et philosophé sur tout, un coup de couperet sera toujours un coup de couperet!".
.....Comment décrire tant de costumes! On s'est habillé comme on a voulu, c'est le bal masqué sans époque obligatoire, dont l'avantage est que chacun revet, en meme temps que son costume, un peu de la manière d'etre du personnage qu'il a choisi. Nous préférons l'unité d'époque ou de fantaisie. La Fete païenne et le Bal blanc, deux fetes du Courrier français, ont donné le modèle du genre : les Quat'z-arts de cette année viennent de suivre ce bon exemple en organisant un bal antique. Il faudra continuer. Une fete à costumes variés est toujours un bal masqué, mais une fete dont l'époque est obligatoire peut etre une solennité plus sérieuse au point de vue artistique, sans cesser d'ètre aussi amusante. Pourquoi pas les jeux olympiques, ou encore le Songe d'une nuit d'été, la féérie shakspearienne, ou bien une fete barbare, à l'imitation de celle de Salammbo? Et puisque les internes viennent de prouver qu'ils sont capables de cortèges tres bien faits, ne pourrait-on pas réussir une fois au moins, cette année 1900 par exemple, une fédération de la jeunesse intelligente, dans une fete giganstesque et digne par son caractère et l'ordre traditionnel des Quat'z-Arts, de satisfaire les plus délicats ?
.....On pourrait ainsi réaliser d'une manière grandiose la fete de caractère dont les bals du Courrier ont donné le patron. Nous croyons que c'est la formule des fetes de demain. Le gout des reconstitutions exactes, dans beaucoup de théatres, fait depuis quelques années passer la pièce au second plan; de là à supprimer tout à fait cette pièce et à obtenir que les spectateurs jouent un role dans la figuration, qui seule importe désormais, il n'y a qu'un pas.
.....D'où vient ce gout nouveau du public ? De la manie d'instruction qui nous tient, dont le résultat est que, meme pour jouer, nous ne voulons plus que des joujoux instructifs, et de la diffusion du document ancien par l'image.
.....Nous savons bien que, dans les bureaux de rédaction, le meme cliché sert à l'appréciation de toutes les fetes carnavalesques, qu'il soit question du vulgaire Boeuf gras ou de la plus délicate des fetes d'artistes. S'il s'agit de la promenade des boulevards, ou des bals public, les jours de mascarades, ce cliché peut servir, car le vieux carnaval se meurt en effet. Mais le nouveau, celui que les artistes ont instauré dans leurs fetes, il est injuste de le méconnaitre, car il grandit tous les jours. Fetes du Courrier, Quat'z-Arts, Vachalcades, fetes de l'Internat se succèdent depuis 10 ans sans que la presse paraisse en avoir bien conscience. Ponchon lui meme, notre Ponchon précieux et bien aimé, qui prouve victorieusement deux fois par semaine que la poésise zutïste peut etre de la grande poésie, accueillait par un aimable grognement (aimable mais grognement) la publication des carnavals parisiens :

........ Morin, il n'y a pas à dire
.....La corde à rire de la lyre
.....Est détraquée, et pour longtemps
.....Nous sons devenus protestants....

.....Voyons, Ponchon, mon ami, c'est trop facile, ce bougonnement à la Jean Gilles (.... Jean Gilles, mon gendre, de quoi vous plaignez vous ?); il faut laisser cela aux gens qui aiment mieux se donner couleur de supériorité en blaguant systématiquement les choses nouvelles que de faire un petit effort pour en dégager le sens et les tendances. La France est malade de mauvaise humeur, mais ce n'est pas le moyen de la guérir que de le lui chanter sur tous les tons.
.....Aidez nous plutot, Ponchon à rattacher la corde à rire, dont personne ne pincera plus agréablement que vous.
.....Tout autre est votre confrère Jean Lorrain, qui ne laisse jamais passer les fetes du Courrier ou celles des Quat'z-Arts snas les saluer d'un Raitif étincelant. Et Montorgueil, l'historien de notre Paris moderne, n'a eu garde, dans son Paris dansant, qu'illustrent de si beaux Willette, d'oublier les fetes de caratère et les a placées au rang qu'elles méritent. Et il ne sera pas le dernier à défendre ce qu'on peut appeler notre Droit à la joie.

 

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